Se pardonner


 

Lorsque nous prenons en âge, ou tout simplement si nous faisons un travail sur nous-mêmes, nous gagnons en compréhension sur nos vies : leurs ressorts, les raisons pour lesquelles nous avons agi de telles façons, les conséquences de nos actes… Cette compréhension devrait nous libérer et nous rendre plus libres et plus heureux, mais il existe un paradoxe que j’appellerais « le paradoxe de la prise de conscience ».

Car, plus nous comprenons rétrospectivement ce qui s’est joué à différentes étapes de notre vie ; d’affectif, de professionnel, de décision prise ou non prise ; plus nous sommes enclins à nous remettre en cause : « Ah si seulement j’avais su ! » ; «Ah mais quel imbécile j’ai été ! » ; « Mais pourquoi n’ai-je pas vu que ce projet ne pouvait pas marcher ? » ; « Mais quel crétin de m’être comporté de la sorte ! ; « Mais pourquoi ai-je accepté si longtemps cette situation qui ne me convenait pas ? » ; « quelle horreur le mal que j’ai fait à cette personne soit disant au nom de l’amour » ; et ainsi de suite.

De cette manière, incidemment, un travail introspectif qui aurait dû nous soulager, -voire nous libérer- s’impose comme une plaque de tôle sur un duvet de plumes. Car nous y ajoutons alors reproches à nous-mêmes, culpabilité, repentance et autopunition. Si reconnaître les responsabilités de nos actes est indispensable, les ressorts cachés de l’auto dévaluation qui en découle doivent aussi être mis à jour. Ce qui aurait pu être une lumière nous éclairant s'opacifie d'une obscurité qui nous égare encore plus.

Parce que le sujet est très complexe et justifierait des prolongements dans la réflexion, je ne parle pas ici d’actes répréhensibles condamnés par la loi, mais juste de ce que nous sommes amenés à faire, au fil des jours, dans le quotidien de nos vies et qui n’engagent que nous-mêmes, si tant est d’accepter l’idée que ce que nous faisons ne peut « engager que nous-mêmes », mais c’est un autre sujet.

Face à la compréhension de ce que nous avons fini pas qualifier « d’erreur » et / ou d'échec dont nous serions les responsables, une fois tous les ressorts éclairés, nous avons alors deux possibilités : continuer de ressasser à l’infini notre propre incompétence ou apprendre à… nous pardonner.

Ah le pardon ! Je ne parle pas de « se faire pardonner », je ne parle pas de « demander pardon », je ne parle pas de « pardonner à quelqu’un » ; non, je parle de « se pardonner soi-même ». Pour les erreurs que l’on a commises, pour les choses que nous aurions du faire et pas faites, pour les choses faites que nous n’aurions pas du faire, pour notre aveuglement à certains moments, pour une mauvaise évaluation d’une situation, pour la reproduction de scénarii répétitifs nous mettant en difficulté, pour les paroles proférées que n’aurions jamais dû dire, pour celles que nous aurions dû trouver mais que nous n’avons pas trouvées sur le moment, etc.

Si il y a bien un point commun entre nous toutes et tous, c’est que nous faisons ce que nous pouvons, avec ce que nous sommes et ce que nous avons ou pensons avoir (je dis « pensons avoir » car en général nous avons bien plus que ce que nous imaginons). Face à ce constat, il nous faut donc accepter notre imperfection. Oui, des conneries nous en faisons tous, et nous en payons certaines très cher. Mais acceptons l’idée qu’au moment où nous avons fait ces « conneries » nous étions persuadés de faire le bon choix. Personne ne prend une décision en se disant : « aller, super, je vais me rendre très malheureux et rater que ce j'entreprends! ». Comprendre les mécanismes de nos erreurs est indispensable. S’en punir l’est sans doute moins…

Surtout que les punitions que nous sommes en mesure de nous infligées dans ces circonstances peuvent être terribles : perte de sens, répétition de scenarii mortifères, perte de légitimité et d'estime de soi, disparition de notre élan de vie, tarissement de notre créativité, effacement de la vie sociale, et autres « joyeusetés », chacun pouvant compléter sa propre liste.

Le pardon est un chemin. Comme il est difficile de pardonner à quelqu’un qui vous a fait du mal (et à ce propos, pour l’avoir vécu, je dis souvent que pardonner à quelqu’un c’est avant tout un cadeau que l’on se fait à soi-même), se pardonner est sans doute encore plus difficile. C’est peut-être pour cela que l’église et la confession ont un temps si bien marché : on ne se pardonne pas soi-même, on obtient d’un tiers transcendant qu’il vous pardonne sous condition de faire quelques prières. C’est évidemment souvent beaucoup plus simple !

Se pardonner c’est se dire (et surtout intérioriser) quelque chose comme : « Ok, tu t’es planté sur un truc, tu as fait toutes les démarches possibles pour comprendre pourquoi tu as fait cette connerie. Tu as fait ce qui t’a semblé bon au moment où tu l’as fait, avec la compréhension qui était alors la tienne et avec les outils dont tu disposais. Parfois, tu aurais pu ne rien faire du tout et ça aurait été encore pire. Tu as tenté de suivre ton chemin mais des zones n’étaient pas encore éclairées. Au moins, cette connerie t’aura permis de le faire. Tu n’es pas un monstre d’idiotie, tu es juste un être humain qui a fait, et qui fait, ce qu’il peut. T’être trompé même lourdement ne fait pas de toi un crétin que tu maltraiteras avec un malin plaisir. Contemple tes erreurs et contemple tes lumières. Acceptes-en les deux. C’est de nos erreurs que nous apprenons et tu as beaucoup appris. Et tant que tu continues d’apprendre cela veut dire que tu es encore pleinement vivant. Ce sont nos imperfections qui nous rendent humains, nos fragilités qui nous rendent sensibles. Prends-toi pas la main, remercie-toi pour le chemin fait (même chaotique) et continue d’avancer sur ton chemin. Accepte aussi l’idée qu’une vie ne suffit pas à tout comprendre et qu’au moment de ta mort il sera bon de pouvoir se dire « j’ai fait ce que j’ai pu. J’aurais peut-être aimé aller un peu plus loin dans la compréhension, mais bon, c’est déjà pas mal, et certes je me suis trompé, j’ai fait du mal (le plus souvent à mon insu) ; j’ai eu mal, mais il n’existe pas de vie sans tourment… »

In fine, la seule responsabilité qui nous incombe est de tenter d’être heureux, même au cœur du chaos, et de rendre heureux ce et ceux qui nous nous entourent. Seules les bribes de bonheur partagés avec le monde signeront un bout d’accomplissement.

« Pardon » étymologiquement signifie « donner complètement, remettre » Que nous donnons-nous « complètement »lorsque nous nous pardonnons nos erreurs ? Que « remettons »-nous en nous ?

Nous remettons de la vie et de la foi en nous. Nous nous donnons l’acceptation claire, lucide et éclairée de ce que nous sommes en totalité. Nos ombres mais aussi nos lumières. Nous pardonnant des offenses que nous nous sommes infligées...


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Jean David, conteur, musicien et passeur